Les profs au pays des Bisounours.

Julie est en congé maternité et a été remplacée par Caroline, très gentille, peu bavarde, et qui, le jeudi, préfère rentrer déjeuner chez elle. Du coup, au lieu de manger au CDI, comme j'avais l'habitude de le faire avec Julie, je vais manger avec les chers collègues. Et franchement, c'est bien pour ne pas manger seule dans mon coin !

Dès qu'ils sont nombreux, il n'y a que trois sujets de conversation.

Les élèves, qui sont nuls, débiles, insupportables, agressifs, violents. Et leurs parents, inconscients, qui prennent toujours le parti de leurs enfants et ne les font pas travailler.

L'administration, qui ne comprend rien à la pédagogie, ne sait pas s'organiser, change les emplois du temps sans prévenir, ne soutient pas les profs, j'en passe et des meilleures. Sans oublier la Surveillance, particulièrement dénoncée (là, je fais chorus, j'avoue).

Histoire de changer de sujet, l'une ou l'autre se lance tout d'un coup dans un récital de blagues cochonnes, ce qui les amuse beaucoup. Le ton et l'humour sont encore plus consternants que chez les élèves !

Quand je me trouve en tête à tête avec un collègue, le ton change et j'ai l'impression d'être un psychothérapeute écoutant son client (sauf que je ne suis pas payée) : je n'en peux plus, j'ai l'impression de ne servir à rien, les élèves sont trop durs, personne ne me soutient…

D'autre fois, les doléances changent de ton, deviennent carrément haineuses et visent un autre "cher collègue" : tu ne peux savoir ce qu'il-elle m'a fait ! Elle me dit… Il a affirmé, et devant les élèves, tu te rends compte…

De quoi vous couper l'appétit !

Je ne veux pas défendre l'administration : j'ai suffisamment de soucis, professionnels et relationnels, avec certains de ses membres.

Je ne veux pas non plus défendre les élèves, qui ne sont pas faciles, et je suis bien placée pour le savoir. Oui, ils sont parfois nuls à faire peur ! Quand la prof d'anglais leur dit : "l'expression "American natives" désigne les américains de souche", on lui demande : "Madame, c'est où, Souche ?" Et cette question posée à un prof de maths : "Monsieur, un tiers, c'est bien la moitié ?" Authentique, juré ! Oui, certains sont insolents, agressifs, au point de faire parfois véritablement peur. Non, ils ne travaillent pas, ou pas beaucoup, en tout cas pas assez pour satisfaire leurs profs. Pourtant, la grande majorité passe d'une classe à l'autre et réussit ses examens. Quand on écoute les collègues, on se demande par quel miracle !

Je rêve simplement de profs positifs. Tous les profs ont choisi leur métier. Personne n'a été obligé de passer les concours d'enseignement, et il y a suffisamment de livres, de sites et de témoignages pour que ceux qui entrent dans le métier sachent ce qui les attend. Je rêve donc de profs positifs, sachant apprécier leurs élèves et ayant des réflexions optimistes. Je ne parle pas de trouver des qualités fictives aux élèves ou aux collègues, mais juste de reconnaître les qualités de certains, quelles qu'elles soient. Je rêve de profs disant : "la classe de Terminale Pro, qu'est-ce qu'ils sont sympas !" Ou bien : "en seconde, ils ont vraiment bien progressé, ce trimestre." Ou bien : "le petit Martin-Dubois est franchement nul mais qu'est-ce qu'il est gentil !" Je rêve d'entendre : "J'ai donné mon plan de cours à la nouvelle prof de compta, pour qu'on puisse tout harmoniser", mieux que : "T'as vu la nouvelle prof de compta ? Elle n'a pas l'air sympa !"

Ou bien : "J'ai un souci avec Mathusalem, en STI, le prof principal va m'aider à trouver une solution", mieux que "j'ai collé Mathusalem et son prof principal a fait sauter la colle ! J'en ai marre de ce type !"

Ou bien : "Je suis en avance sur mon programme de Gestion, je vais pouvoir préparer une sortie avec toute la classe" mieux que "les élèves de STG veulent faire une sortie, ils sont complètement inconscients : Avec la longueur du programme ?"

Je rêve d'entendre parler de ce qui va bien, et pas seulement de ce qui ne va pas. Je rêve de collègues ayant le sourire, contents (rêvons jusqu'au bout) de venir travailler, optimistes et positifs, même s'il y a des problèmes.

L'éducation nationale chez les Bisounours, quoi !